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Joël Courtois a annoncé récemment aux élèves de l'Epita son départ après plus de deux décennies à la tête de l'établissement et le groupe IONIS est à la recherche d'un nouveau Directeur Général pour l'EPITA </tldr>
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les anciens Epita croisés soit dans ma carrière soit dans ma vie privée sont tous, je dis bien tous, des excellents informaticiens de haut niveau. Voir cependant plus loin dans le texte quelques "modulos". </disclaimer>
L'Epita, je la croise depuis si longtemps... Quasiment tous les jours quand, étudiant dans le 13ème arrondissement de Paris, je passais devant ses bâtiments. Ou quand peu de temps plus tard, mon premier employeur y faisait envoyer la DST, les tentatives de piratage venant d'une salle bien précise de l'Epita et des élèves d'un certain enseignant devenant trop nombreuses (c'était bien avant l'époque IONIS, il y a prescription ; au sens réel et figuré). Puis quand j'ai rencontré des Epita comme clients. Puis comme collègues.
Et un jour j'ai vu mon fils cadet pleurer de joie, vraiment, à chaudes larmes, en apprenant qu'il était pris à l'Epita, dans la section dite "anglophone". J'étais heureux pour lui, et même fier. Je le prévenais que cela serait dur mais j'étais confiant : un gamin qui soudait lui-même ses circuits intégrés sur le cuivre à 9 ans et codait la majeure partie (back et front) d'un site ayant gagné un prix européen pouvait y arriver.
J'ai commencé à avoir des premiers doutes lors de mon passage à l'Epita pour une réunion "Parents / Direction" en comparant tout simplement l'attitude générale et les mots d'accueil du Directeur de l'École d'Ingénieurs Nationale de mon second fils, et ceux de Joël Courtois, le ci-devant Directeur de l'Epita depuis, tenez-vous bien, Avril 1997 et qui a annoncé récemment aux élèves son départ...
Au bout de deux minutes à peine et dans des poses physiques de lieutenant-colonel accueillant sa bleusaille sur la place d'armes du régiment, le "king" Courtois expliquait aux parents consternés que 25% de la promo de première année échouerait. Son collègue gérant l'école de mon fils aîné nous offrait, quelques jours auparavant, son plus beau sourire pour nous expliquer, ré-expliquer et ré-expliquer encore avec bonhommie et douceur que sa mission première est d'amener tous les élèves à l'épanouissement, les amener tous à l'obtention du diplôme et les soutenir avec bienveillance.
Tout le reste du discours de Courtois respirait un « ils ont signé pour en chier » et du « on va leur en faire baver » qui encore aujourd'hui me reste clairement en travers de la gorge, et je suis passé moi-même par une École Militaire... La promesse d'un stage commando de 5 ans du côté Epita, des années d'études joyeuses de l'autre. Avec le même taux d'accès au CDI des deux côtés.
J'ai discuté quelques minutes avec Joël Courtois après cette séance éprouvante. Un seul mot m'est venu à l'esprit : condescendance. J'étais un parent de futur élève à qui l'Epita faisait l'aumône d'accueillir son rejeton. J'en suis sorti outré.
J'ai ensuite basculé dans la consternation dès les premières semaines suivant la rentrée avec les évaluations : très rapidement, l'Epita procède à l'évaluation de ses nouveaux étudiants et s'il s'agit d'une forme de bizutage, il est particulièrement brutal. Les évaluations sont conduites via des QCM à points négatifs, système qui bien entendu n'aura pas été expliqué ni appliqué "en blanc" aux gamins et qu'ils n'ont jamais utilisé de leur vie scolaire. Surtout qu'on a bien précisé aux parents que ces évaluations sont déterminantes et qu'un gamin qui les plante a en fait peu de chances de s'en remettre. Pour casser un gamin dès son arrivée, c'est parfait ; pour lui dire « bienvenue dans vos plus belles années, celles de vos études supérieures », vous me permettrez d'avoir un très gros doute. Les premières notes sont évidemment parfois désastreuses, j'ai vu moi-même des jeunes Epita qui en rêvaient, après une Terminale brillante, envisager de quitter l'École au bout de seulement trois semaines de présence, un comble.
Ce système de QCM à points négatifs perdurera toutes les études. Il est donc parfaitement possible de se taper un zéro strictement pointé à l'Epita pour des résultats qui offriraient absolument partout ailleurs un diplôme d'Ingénieur, non usurpé.
Car l'Epita c'est aussi une École d'Ingénieurs. Elle est contrainte par la CTI, la Commission des Titres d'Ingénieur. Elle a deux années préparatoires aux trois années d'études proprement dites. Elle les appelle Info Sup et Info Spé, deux noms très bien choisis. Mais même en Maths Sup et Maths Spé, que j'ai fréquentées personnellement ou via mon fils aîné, mon neveu, les enfants de mes amis, on ne bouzille pas les gamins comme ça. Certes, certes, la boutade habituelle du prof principal le premier jour « il vous reste une minute pour changer d'avis » est courante mais elle est toujours prononcé avec un grand sourire. En CPGE, on choye ses élèves ; on les fait bosser très dur mais on y fait également aussi très attention. On les accompagne.
Puis les cours arrivèrent. Alors que l'Epita coûte annuellement la peau des couilles pour une École d'Ingénieurs et que les parents attendent que pour ce prix-là l'école dispose d'enseignants faisant - quelle horreur! - des cours, des vrais cours quoi, la plupart sont des vidéos pompeusements appelées MiMos. Là où cela ne va plus du tout, c'est que toutes ces vidéos - loin s'en faut - ne sont pas produites par l'Epita... J'ai personnellement visionné quelques-unes de ces vidéos de cours, produites par je crois l'Université de Lille. La plupart étaient de piètre qualité tant pédagogique que scientifique. Pire, le programme du MiMo était parfois incomplètement adapté au programme de l'Epita. (nota bene : j'ai été prof d'informatique en Maths Spé et je suis un matheux.)
Pendant ce temps-là, Courtois a eu le culot de se répandre dans la presse en disant que « le coût de la scolarité est relativement indolore ». Quelle indécence, quel mépris pour certaines familles qui se saignent et ne voient de l'Epita quasiment qu'un seul message par an : merci de payer la prochaîne année d'études de votre gosse avant telle date et, au fait, le coût a pris 10% encore une fois évidemment sans qu'on vous prévienne ; et bien entendu vous n'avez pas le choix puisque si votre gamin ne continue pas, il peut direct se ré-inscrire à Parcours-Sup, il n'a aucune équivalence.
Évidement, la crise Covid n'a rien arrangé. Aucune mansuétude pour le contexte difficile, mauvaise qualité des supports des cours, aucun support non-vidéo, jmenfoutisme total de certains enseignants, locaux décrépis, on coche toutes les cases d'un lieu qui sent tout de même beaucoup plus fort l'entreprise commerciale pure que le campus heureux. Quand j'ai suggéré à la Scolarité qu'en cette période difficile de cours strictement en distanciel, il serait peut-être une bonne idée de filer aux élèves des supports de cours "papier" pour les aider à passer le cap, la réaction fut « on n'y avait pas pensé ». Mais nom de Zeus, vous pensiez à quoi alors ? Quant à savoir s'ils l'ont fait, d'après vous ?
Il faut dire que l'Epita, c'est aussi un site et des bâtiments au Kremlin-Bicêtre qui, euh, comment dire, ne font pas franchement rêver, voilà. Même pas de cantine ou tout simplement de lieu pour s'asseoir et manger leur déjeuner pour les étudiants. Des bâtis extérieurs de fenêtre tellement défoncés que des moineaux ont fait leur nid à l'intérieur ! Des murs qui font pitiè. C'est moche, ça fait pas envie. En tous cas, pas à moi.
Le soutien venant de la Scolarité est indigent et à l'image de Joël Courtois : brutal. En gros, un élève qui ne réussit pas immédiatement à s'adapter au système de l'Epita (pourtant très inhabituel) est presqu'un raté qui n'a rien à foutre là.
À l'Epitech qui partage les locaux et surtout la mentalité avec l'Epita, et où le Kwisatz Haderach a aussi sévi, même combat. Ma machoire en est tombée quand on m'a raconté la note de -42 (oui, vous avez bien lu, MOINS QUARANTE-DEUX) qu'on peut obtenir pour une erreur minime. Irratrapable, donc. Cela doit les faire marrer de donner une note négative tuante avec le chiffre 42 dedans, je suppose. Permettez-moi de ne pas rire ni même sourire, je trouve cela tout simplement lamentable et de mon point de vue, un tel management mériterait uniquement un licenciement immédiat pour harcèlement moral envers les élèves.
Quand on bascule dans les trois années d'Ingénierie à l'Epita, on n'est pas tiré d'affaire pour autant. La fameuse Piscine arrive, un véritable stage de Légion Étrangère en Guyane qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde et durant lequel les élèves se voient donner un projet irréalisable dans le temps imparti sans y être investi, au sens propre du terme, 24h sur 24. Quelle ne fut pas ma surprise quand la Direction de l'École nous a expliqué qu'on ne laissait plus les élèves passer la nuit au travail ou dormir sous les tables dans les salles de cours pendant la Piscine mais qu'on les renvoyait chez eux à (je crois) 1h du matin. Quelle ne fut pas ma surprise également quand des élèves d'Ingé1 m'ont confirmé que cela perdurait parce qu'il n'y pas le choix, ça continue juste à domicile. Mais nom de Zeus, s'il y a des coups de bourre en Informatique, ce n'est pas ça l'Informatique. L'Informatique, c'est un métier de bonheur dans lequel on fait marcher son cerveau à pleins tubes, pour lequel on se lève avec plaisir le matin et on saute sur son clavier avec délectation. Un cours d'Informatique, un projet d'Informatique, ce n'est pas un parcours du combattant, c'est apprendre à apprendre, c'est acquérir la capacité à voir la beauté d'un code ou d'une technologie et ouvrir le champ des possibles, devenir capable d'évaluer une complexité et écrire un plan d'attaque. L'enseignement de l'Informatique, ça doit être un épanouissement, pas un épuisement débile et surtout inutile.
Est-ce que ma formation Informatique personnelle souffre de n'avoir pas eu de Piscine ? Évidemment que non. Est-ce qu'un gamin passé par l'IUT ou la fac est moins bien formé aux coups de bourre ? Mais bien sûr que non. Est-ce que scolairement, cela amène quelque chose à part de la fatigue, du stress, de la brutalité ? Meuh non.
De ce point de vue, les « méthodes éducatives innovantes » de l'Epita et l'Epitech me semblent surtout des moyens de filtrage et de réduction des coûts professoraux.
J'ai également entendu plusieurs fois des rumeurs alarmantes de sexisme totalement déplacé, et qui méritent donc d'être citées ici si d'aventure elles étaient avérées. Elles m'ont été rapportées par plusieurs anciens élèves, tant anciens que récents. Cela reste à prendre avec des pincettes, mais tout de même.
En fait, l'Epita vit dans un monde vieux de plus de 20 ans imposé par un Directeur qui n'a pas su évoluer avec le temps. On n'est plus en 1998, ni même en 1984, date de fondation de l'Epita. Mais même il y a 20 ans, cette brutalité des méthodes était déjà inutile. En 2021, elle est anachronique, déplacée et surtout contre-productive.
Il y a un effet de bord à cette brutalité scolaire. J'ai vu de mes yeux certains Epita, anciens ou récents, incapables de ne pas reproduire professionnellement les schémas qui leur ont été inoculés à l'Ecole, je les ai vus appliquer à l'envi les méthodes militaires de leur École dans la vraie vie et exiger de leurs subordonnés ou collègues un niveau d'engagement tout simplement indécent et se comporter de façon scandaleuse, à la limite du harcèlement moral. J'ai entendu de telles personnes dire, je cite, « ouais, pas grave, moi aussi j'ai déjà du dormir sous le bureau pendant mes études, on n'en crève pas ». Je n'arrive pas à ne pas avoir honte en face de tels comportements.
Alors oui, je l'ai dit et je le redis, les Epita sont des excellents Ingénieurs en Info. Les Epitechs sont des excellents Informaticiens (j'ai un beau contre-exemple en tête mais un seul, donc ça ne compte pas). Mais très franchement, je me demande s'ils ne sont pas tout simplement intrinsèquement bons et si ils ne seraient pas tout aussi bons en autodidactes. L'Epita leur offre, contre moultes espèces sonnantes et trébuchantes, le diplôme, le bout de papier qui va bien. Mais ils sont techniquement balaises, demandeurs, passionnés, ils auraient le même niveau partout ailleurs et même en dehors de tout système scolaire.
Je suis donc persuadé que l'Epita gagnerait immensément à :
- abandonner les MiMo comme source principale d'enseignement et revenir au maximum à des vrais cours, avec des vrais supports de cours. Je ne néglige pas le coût d'un corps professoral mais il faut ce qu'il faut. On ne peut pas se prétendre la meilleur Ecole d'Ingénierie en Informatique en Europe et ne pas investir dans sa scolarité. On ne peut pas demander près de 10 000 € par an de frais de scolarité sans mettre des moyens en face.
- abandonner ce scandale des QCM à points négatifs, un système franchement dégueulasse, humiliant, minable et se conformer à ce qui se fait dans les autres écoles d'Ingénieurs en terme de contrôle.
- arrêter complètement le sourcing de MiMo extérieur à l'Epita. Il est tout simplement honteux que des "cours" ne soient même pas produits sur place et soient achetés ailleurs. L'Epita n'assure pas tous ses cours, point barre, et c'est scandaleux pour une École d'Ingénieurs.
- abandonner immédiatement et complètement toute brutalité dans le schéma scolaire, éliminer les phases d'hyper-stress inutiles telles que la Piscine, et enfin fonder le lien Direction/Élève sur la bienveillance et l'accompagnement au lieu du filtrage. Un élève qui entre à l'Epita doit, sauf exception vraiment exceptionnelle, sortir diplômé de l'Epita.
- renouveler son personnel et en particulier la Scolarité des deux première années préparatoires de l'Epita, bien trop liée à la mentalité Courtois. Un grand ménage est absolument nécessaire. Certains enseignants, trop confits dans le système Courtois, pourraient également être remplacés.
- arrêter le pair-à-pair qui fait certains étudiants des dernières années superviser des plus jeunes. On ne remplace pas des enseignants et des vrais chargés de TD sélectionnés pour leur niveau pédagogique par des étudiants.
- rafraichir les locaux, parce que franchement...
Mon fils quitte donc l'Epita, dégouté par son système. Sur trois copains du même lycée qui rêvaient d'y entrer et sont allés jusqu'à prendre un appart en colloc ensemble pour cela, deux ont abandonné, dépités. Le premier est parti au Canada, accepté à l'Université McGill, excusez du peu, et y mène une très belle scolarité. Le second va rester en France, toujours dans la babasse, mais en un lieu où l'humain compte un peu plus. Le départ de Courtois est une opportunité à saisir, il faut un vrai virage sur l'aile, une rupture, pour que ce genre d'échec créé par le système ne se reproduise plus. Et je fais parfaitement confiance à la nouvelle Direction pour le réaliser.
J'ai conscience que les mots qui précèdent sont ceux d'un déçu. Car oui, je suis très profondément déçu par ce que j'ai pu voir, de mes propres yeux, de l'Epita, une école qui vit sur sa réputation et a brisé connement et surtout inutilement mon gamin. Il sera donc aisé de dire de moi « c'est un aigri mal informé », « il mène sa croisade ». Je l'ai déjà entendu dire, de mes propres oreilles, d'un autre parent d'élève dans le même cas, par cette Direction sortante. Chiche.